alchimie Fulcanelli

Introduction à l'alchimie par Jean-Marie Groult.
L’alchimie remonte, dit-on, au moins à l’époque des égyptiens voire des sumériens et certainement plus antérieurement encore. Déjà pratiquée en Asie depuis les temps les plus reculés, l'alchimie est un art ancestral qui nous a été transmis par les grecs puis les arabes au XIVe siècle ; le terme arabe, ici, ne renvoyant ni à une religion ni à une ethnie mais bien à une langue parlée au Moyen Âge par un ensemble d’individus (arabes, perses, turcs, juifs et espagnols), langue qui fit office de vecteur dans la transmission des savoirs les plus divers de l'Antiquité : alchimie, mathématiques, géométrie, géographie. Certains voient à juste titre dans l’alchimie une façon d’accélérer l’œuvre de la nature, à l’aide de la Pierre philosophale, qui, tel le Graal, est convoitée mais rarement obtenue (on ne compte que deux ou trois adeptes par siècle). Cette pierre rouge sang de pigeon qui transmute les esprits et les métaux les plus vils, fruit d’un très long travail appelé labeur, ne s’obtient pas infailliblement mais plutôt avec l’aide et la grâce de Dieu encore appelée « Donum Dei ». Cette pierre, mais je devrais dire ce cristal offre la possibilité de transmuter des métaux vils, tel que le plomb, en argent et même en or, en raccourcissant le long mûrissement au sein de la terre que l’on entrevoit comme au travers du drainage minier acide ; l’alchimie permet aussi de réaliser la « panacée ». Même une mine d’or fermée et réouverte bien des années plus tard, a fait l’objet d’une étrange découverte : dans un filon un pic planté dans une veine aurifère s’est retrouvé partiellement recouvert d’or. L’hypothèse émise étant que le drainage minier acide est venu avec le temps créer une sorte d’échange ionique covalent entre le fer et l’or.  Mais l’alchimie est encore bien plus, là où le souffleur souffre et succombe à la folie et au désespoir, le vrai cherchant, s’il est sincère pourra rencontrer le créateur de son vivant et inter-réagir avec lui au travers de signes qui ne manqueront pas de lui apparaître et même de s’accumuler. La physique quantique tente d'appréhender ce type de phénomènes en étudiant les synchronicités . Donc l’alchimiste ne transmute l’or non pas pour s’enrichir, mais pour témoigner à Dieu de la qualité de son travail, mais là n'est pas la principale transmution si ce n'est que celle de nous-mêmes ! Mais nul besoin d’aller au terme de l’œuvre pour se voir immensément récompensé, car dès lors que l’apprenti s’éveille, l’esprit réveille la matière. Mais ceux qui considéreraient que la Pierre philosophale est le stade ultime de l’alchimie seraient également dans l’impasse, car il ne s’agit en l’état, que de la première porte du temple hermétique et le commencement de la pérégrination, celle où rien n’est écrit et là où le début de la conscience divine l’illumine sur le chemin. 

Nicolas Flamel Alchimie

Mais avant d’en arriver là, des années d’évolution devront se succéder, à l’oratoire, au laboratoire, il y aura les couleurs à passer et les signes du bestiaire à découvrir puis à déchiffrer. Nous verrons comment l’apprenti saura volatiliser le noir corbeau de ses trois ans, saura fixer la chaste licorne et faire émerger l’astérie pour ses cinq ans, pour finir à l’âge de raison de ses sept ans[1] dans un jaillissement de lumière issu de son chaos comme le feu du volcan le ferait de la terre de son V.I.T.R.I.O.L.U.M[2]. Les souffleurs pensant posséder le Grand Œuvre avec la réalisation de la Pierre philosophale, n’en seront que pour leurs frais, car si l’adepte est habile pour faire de l’or et des pierres précieuses, il ne cherche en réalité que la perfection des sept éléments qui par un subtil réarrangement lui permettra d’accomplir ce que le commun appellera candidement miracle ou saut de la foi. L’art alchimique s’exprime par l’invocation du verbe messager et par son animation en tant que souffle divin redonnant la perfection originelle dans les trois règnes ; c'est à Aydamur Jildaki, un des plus grands alchimistes islamiques médiévaux, que l'on doit cette définition de l'alchimie : « Elle est la science dont le but est d'arracher l'accident qui a perverti la matière en en faussant la pureté naturelle dont Allah l'avait dotée ». 

Mais revenons aux sources de l’alchimie, parmi les nombreuses études étymologiques faites sur le mot alchimie, le vocable arabe de "el-kimyâ" s’impose comme racine. Pourtant cette science séculaire semble bien antérieure à la terre noire « Chem » que les égyptiens habitants de "Khem" trouvaient sur leurs routes, cette terre qui n’est rien de plus que le limon noir qui recouvrait les berges du Nil lors des crues providentielles transformant, une fois par an, ce désert chaotique en plaine fertile et luxuriante. Le "chem" n’est rien de plus qu’un "chemin" que l’on trace à partir du chaos noir en instance de recevoir en son sein la vie, à l’image des agriculteurs égyptiens plantant leur semence dans le limon noir du Nil ; ainsi le créateur dans sa miséricorde insuffle-t-il l’esprit pour renaître. L’esprit "al" associé à la matière morte que l’on nommera "khem" nous donne une indication sur la finalité de l’al-khem-ie qui n’est ni plus ni moins que l’action de réunir le corps et l’esprit, en sachant que l’opérant y mettra toute son âme (corps-âme-esprit). Ainsi trouve-t-on l’explication de ce qu’est l’alchimie non pas dans son origine sémantique, ce qui importe peu en vérité, mais dans ses actions à mener et effets à produire. L’histoire retiendra que ce savoir ne peut être connu que d’un mage qui s’essaiera avec succès dans les trois règnes : animal, végétal et minéral. Un personnage mythique de l'antiquité gréco-égyptienne, Hermès Trismégiste, père des Philosophes, nous aurait confié son savoir-faire sur une table d’émeraude, il y inscrivit la totalité de ses connaissances. Elle se voit traduite en français par Hortulain au xive siècle. 

La « tabula smaragdina » est, selon la légende, une tablette taillée dans de l'émeraude pure retrouvée dans la sépulture d'Hermès Trismégiste.  Le texte obscur qui y était gravé fonda les bases de "l'hermétisme". Datant du vie ou du ixe siècle, il s'agirait d'une retranscription de Balînûs (nom arabe d'Apollonius de Tyane) qui l'aurait lui-même retrouvée dans le tombeau d'Hermès. Elle fût ensuite traduite en latin dès l'époque médiévale, puis en français, et devint la première pierre précieuse de l’Alchimie occidentale.

 

[1] Trois ans : apprenti ; cinq ans : compagnon ; sept ans : maître
[2] Visita Interiora Terrae Rectificando Invenies Occultum Lapidem Veram Medicinam -Visite l'intérieur de la terre et en rectifiant tu trouveras la pierre cachée, véritable médecine. 

Hermes trismégiste Alchimie

Hermès Trismégiste devint dès lors notre premier alchimiste Adepte car non pas considéré comme celui qui s’essaie, mais comme celui qui sait réunir en un point cristallin la lumière d’en haut et la lumière d’en bas (les deux lumières des alchimistes) … 

En voici une traduction de ce magnifique texte fondateur :  

   « Il est vrai, sans mensonge, certain, et très véritable : Ce qui est en bas, est comme ce qui est en haut ; et ce qui est en haut est comme ce qui est en bas pour faire les miracles d'une seule chose. Et comme toutes les choses ont été, et sont venues d’un, par la médiation d’un : ainsi toutes les choses ont été nées de cette chose unique, par adaptation. Le soleil en est le père, la lune est sa mère, le vent l’a porté dans son ventre ; la Terre est sa nourrice. Le père de tout le télesme de tout le monde est ici. Sa force ou puissance est entière, si elle est convertie en terre. Tu sépareras la terre du feu, le subtil de l’épais doucement, avec grande industrie. Il monte de la terre au ciel, et derechef il descend en terre, et il reçoit la force des choses supérieures et inférieures. Tu auras par ce moyen la gloire de tout le monde ; et pour cela toute obscurité s’enfuira de toi. C'est la force forte de toute force : car elle vaincra toute chose subtile, et pénétrera toute chose solide. Ainsi le monde a été créé. De ceci seront et sortiront d'admirables adaptations, desquelles le moyen en est ici. C’est pourquoi j'ai été appelé Hermès Trismégiste, ayant les trois parties de la philosophie de tout le monde. Ce que j’ai dit de l'opération du Soleil est accompli, et parachevé ». 
 

… Puis, ensuite, l’histoire va voyager et traverser l’espace ! Il nous faut aborder l’alchimie selon les valeurs traditionnelles orientales ou occidentales, régions où elle s’est développée. On n’imaginait pas, il y a peu, l’existence d’une alchimie chinoise dès le ive siècle avant J-C. et indienne vers le vie siècle[3] soit bien antérieurement à celle mieux appréhendée de l’Égypte. N’imaginez pas que l’Alchimie est un art et une science obsolètes, nenni, l’Alchimie est toujours bien vivante de nos jours, certes moins visible qu’à la grande époque du Moyen Âge et aussi moins pratiquée qu’alors, une multitude d’ouvrages lui ont été consacrée, les textes arabes ont été traduits en latin puis en français. Certains alchimistes, aux noms souvent dissimulés sous des pseudonymes, et à la vie parfois bien romancée, ont marqué leur temps : Zozime de Panopolis (de culture grecque, c’est celui qui jettera les bases de l’alchimie arabe et médiévale au IIIe et IVe  siècle), Geber (alchimiste, chimiste, astrologue, pharmacien, … de son vrai nom Abu Musa Jabir ibn Hayan 721 – 815),  Nicolas Flamel (plusieurs traités alchimiques majeurs lui sont attribués, 1335-1418), Basile Valentin (XVe siècle, ses traités alchimiques ont été écrits vraisemblablement par des auteurs allemands sous ce pseudonyme), Blaise de Vigenère (diplomate, traducteur, cryptographe et alchimiste, 1523-1596), le Cosmopolite (début XVIIème, nommé ainsi car grand voyageur voulant convaincre de l’efficacité de la poudre de transmutation), Eyrénée Philalèthe (médecin et alchimiste aux écrits incontournables, 1628-1665), Michel Maïer (médecin et alchimiste allemand 1568-1622), Sabine Stuart de Chevalier (femme alchimiste auteure en 1781 d’un « Discours philosophique… », mais cet ouvrage aurait probablement été dicté par son mari Claude de Chevalier)…. D’autres, tel Petrus Bonus vers 1330, Dom Pernety (1716-1796) puis M.A. de Nantes (1824-1899) le supposé maître de Fulcanelli, s’attacheront à nous interpréter le sens alchimique des mythes anciens. Nous ne pouvons malheureusement les citer tous, mais certains de ces noms vous disent peut-être déjà quelque chose ? 

Si certaines périodes étaient favorables à l’alchimie, il fallait mieux à d’autres, comme en 1295 sous la législation des franciscains, cacher son exercice et ses livres, sous peine de pendaison ou de bûcher tandis que les monarques et certains religieux s’y adonnaient bien volontiers et si besoin s’entouraient d’alchimistes enrôlés de gré et surtout de force ! 

Plus près de nous, au vingtième siècle, le légendaire Fulcanelli, un bien mystérieux personnage qui se trouve peut-être être de son vrai nom Paul Decoeur (?), nous a laissé un ouvrage majeur « Le Mystère des Cathédrales » stimulant de nouvelles générations de cherchants. Eugène Canseliet  (1899-1982), qui se présentera plus tard comme le disciple de Fulcanelli, et vulgarisera ses écrits, redonnera quant à lui, par ses ouvrages et ses interventions, ses lettres de noblesse à l’alchimie et par son témoignage fera revivre les écrits du cercle constitué également de Julien Champagne qui illustra merveilleusement les ouvrages de Fulcanelli, de Pierre Dujols de Valois et d’Henri Coton-Alvart[2]. Depuis beaucoup d’ouvrages ont été publiés sur l’alchimie par des auteurs parfois mercantiles ; de tous ceux-là, il vous faudra trier le bon grain de l’ivraie. 

De nombreuses découvertes bien utiles encore aujourd’hui découlèrent de ces recherches réalisées dans les ballons et cornues au laboratoire et auprès de l’athanor, le four des alchimistes, résultats volontaires mais parfois aussi bien involontaires obtenus par effet de sérendipité. Nous citerons pour l’exemple : la camera obscura l’ancêtre de la photographie, l’étude du spectre lumineux, le bain-marie, l’alambic, la porcelaine, des coctions par les plantes, le gaz carbonique, le phosphore, le bicarbonate de potassium, l’acide salicylique, sans oublier les acides : sulfurique, nitrique, citrique, acétique, tartrique, et que sais-je encore … 


[3] L’alchimie, Histoire, Technologie, Pratique, Emil Ernst Ploss, Heinz Roosen Runge, H. Schipperges, Herwig Buntz. 1972 & Discours fait en une célèbre assemblée par le Chancelier de la Reine de Grande Bretagne touchant la guérison des plaies par la poudre de sympathie. 1681 & Archéologie et histoire des sciences - Chapitre V : Alchimie indienne –Berthelot – 1906
[4] Henri Coton-Alvart : « Les deux lumières ».





Livres d'alchimie

Des inventions récentes mettent en exergue des principes évoqués il y a 1200 ans par Geber sur la fission nucléaire et le pouvoir destructeur de la scission d’un atome. Plus tard, au xviiie siècle, Antoine Lavoisier[5] tenta de démontrer que les métaux n’étaient que des corps simples et donc leur transmutation chimérique, mais les travaux récents des orientalistes et sinologues l’ont contredit en démontrant tant l’universalité des résultats que l’ancienneté de la pratique alchimique. De nos jours, les physiciens nucléaires ont décomposé ces corps, appelés à tort simples, et ont confirmé par des expériences de transmutation que le précepte alchimique était proche de leur réalité, ils ont alors validé la théorie de l’unité de la matière et du possible changement d’état des métaux. Ainsi les alchimistes, sans toutefois amalgamer Grand Art et science, ont été reconnus comme « les précurseurs géniaux des magiciens modernes de l’atome[6] ».


 « L’alchimie n’est certainement pas l’art de faire de l’argent ou de l’or. Les vrais alchimistes sont orientés vers la connaissance des mystères de la Nature et la découverte du lien de l’homme avec son environnement invisible. À l’instar du travail de la Nature où l’être vivant acquiert sa maturité, l’athanor est le foyer qui permet au métal, selon ses potentialités d’anticiper son mûrissement, et à l’artisan selon les dons perçus, de s’élever spirituellement. » 

Cette épigraphe empruntée à Henri La Croix Haute dans son ouvrage « Le bestiaire des Alchimistes » permet à tout apprenti d’approcher intelligiblement l’alchimie, qu’elle soit opérative (travail au laboratoire) et/ou spéculative (travail à l’oratoire). Mais en réalité, les alchimies spirituelle et opérative sont interconnectées et ne forment qu’une seule et même alchimie : une seule matière et une seule voie, et la voie sèche n’étant elle-même qu’un raccourci de la voie humide. Quant à l’alchimie dite végétale, appelée usuellement "spagyrie"[7], même si une certaine similitude alchimique coexiste, elle ne se révèle que dans le symbole et l’analogie. Elle n’a rien à voir avec la voie royale et la manifestation de la lumière, elle ne pourra tout au plus que soigner quelques maladies au titre d’une certaine pharmacopée.

Instruisons-nous désormais sur les bases essentielles de l’alchimie afin de déchiffrer ultérieurement les clefs de ce que l’on nomme communément le Grand Art. Les alchimistes énoncent que chaque matière des trois règnes, minéral, végétal ou animal est constituée de trois principes : Sel, Soufre et Mercure du premier degré, nous pouvons aussi les saisir plus simplement sous la forme de Corps, Âme et Esprit.

Ils distinguent à la suite deux principes complémentaires, qui sont le Soufre solaire et le Mercure lunaire. Il faut préciser que ces appellations de Sel, Soufre, et Mercure ne désignent en rien les corps chimiques de même nom, mais brossent certaines qualités de la matière : le Soufre désigne le principe fixatif et actif, masculin et positif ; le Mercure, lui, désigne le principe volatil et passif, féminin et négatif. Quant au Sel, il est le lien consacré entre le Soufre et le Mercure ; ainsi, le Mercure (esprit) est souvent comparé à l’esprit vital qui unit le Soufre (âme) au Sel (corps).  

Paracelse (1493-1541) médecin et alchimiste expliquait plus simplement encore ces trois principes par cette analogie : « Le bois est un corps par lui-même. Brûlez-le. Ce qui brûlera, c'est le Soufre ; le Mercure est la chaleur se sublimant, et ce qui restera en cendres est le Sel qui constitue le corps ». 

Nous vous proposons de vous habituer à ces quelques synonymes du ternaire alchimique afin de mieux comprendre la suite de notre commentaire : Sel – corpus - Jésus/ Soufre - animus - masculin - actif - soleil - feu - or - Dieu le père / Mercure - spiritus - féminin - passif - lune - eau - argent - Le Saint-esprit. Gardez tout cela en mémoire. Appropriez-vous ces termes, car nous reviendrons régulièrement à ces analogies !


Puis nous aborderons au fil des pages ce que nous nommons conventionnellement les quatre éléments, Terre, Eau, Air, Feu, et les trois couleurs : Noir, Blanc, Rouge. Ce sont ces colorations que prendra, au laboratoire, votre matière au fur et à mesure de votre avancée sur le chemin de l’œuvre royale. Pour comprendre le processus alchimique, il vous faudra, selon votre voie, passer votre matière successivement et alternativement de multiples fois par le « solve et le coagula », c'est-à-dire la séparation, la purification et la réunion de ses trois principes : Sel, Soufre, Mercure. 

  Les maçons, charpentiers, sculpteurs, maîtres verriers, tous ces compagnons et ymagiers des temps anciens nous ont laissé, à la demande des Maîtres et des Fabriques, et parfois même à leur insu, de nombreux indices hermétiques. Vous en repérerez sur des bâtiments tant privés que publics, et tout particulièrement sur des édifices religieux, ces derniers, extraordinaires témoignages de piété, étant présumés durer des siècles voire plus. Vous appréhenderez petit à petit les quatre éléments, les trois principes et les trois couleurs à force de les rencontrer régulièrement sur les nombreux ouvrages de bien nombreuses villes, soit dans la pierre ou dans le verre ou bien encore sur quelques œuvres de grands peintres initiés. Ils vous permettront d’aborder et de pénétrer ce qu’est le Grand Art.

Tout est dans l’analogie, dans la caractérisation et l’expression : animaux fantastiques ou réels du bestiaire, personnages mythiques ou bien fantasmagoriques. Sachez que chacun d’eux possède trois sens de lecture. Saint Jérôme ne disait-il pas qu’ « il nous fallait étudier les Saintes Écritures de trois manières : selon la lettre, selon l’allégorie (l’esprit ou le sens spirituel) et au final selon le bonheur des biens à venir ». Dans cette idée, l’alchimiste trouvera que la première lecture exotérique, ou livre ouvert, est celle du profane, celle que vous trouverez dans la plupart des livres et qui vous sera exposée en général lors de vos visites traditionnelles, le sens donné en sera alors essentiellement historique, et parfois, selon votre accompagnateur, quelque peu biblique ou mythologique. La seconde lecture ésotérique, ou livre fermé, est celle du symbolisme caché, elle s’acquerra après un très long travail personnel ou accompagné. Puis, au dernier niveau, une lecture du sacré menant à la compréhension de la langue des adeptes connaissants en toute chose et ayant décrypté au laboratoire les règles du divin régissant notre condition naturelle et humaine. Ces trois sens de lecture ne sont pas une vue de l’esprit mais ont été bien évidemment suggérés à dessein par les bâtisseurs, compagnons de la connaissance. Combien de fois, nos multiples visites de monuments et nos prises de vue sans fin nous ont fait prendre conscience des similitudes qui existaient entre les motifs des édifices, que de recoupements entre eux ; le message se dévoilait à nous comme un puzzle se complétant avec grande fluidité après de si nombreuses interrogations. Quand de nombreux éléments s’accumulent, et se recoupent, il est difficile de nier l’évidence. 

Ne nous y trompons pas, les symboles ne sont pas indépendants les uns des autres mais sont souvent liés entre eux par l’allégorie voire le jeu de mots de la langue des oiseaux et son pouvoir cabalistique. Cette langue des oiseaux si chère aux alchimistes où le jeu de mot qui devient très vite un jeu de maux, permet la compréhension de sens multiples une fois la phonétique des mots réinterprétés, les permutations de lettres effectuées, … Richard Khaitzine nous en a parlé allègrement et avec talent dans ses ouvrages.  

Les symboles nous racontent comme une "histoire", et l’on devine alors une logique, comme un sens de lecture à l’emplacement des vitraux dans les édifices, à la manière d’un rébus à déchiffrer. Le mot symbole est issu du grec ancien sumbolon qui dérive du verbe sumballesthaï "mettre ensemble", "comparer", voilà qui est clair. Pas un seul détail n’est inscrit au hasard, et très vite l’initié décèlera s’il y a un sens caché et il s’attardera à retrouver la beauté et la poésie du message voilé par les anciens. 

Au fil de vos visites, vous remarquerez, nombre d’images en apparence très différentes mais pourtant très proches dans leur expression. Le message, en fait, est bien souvent similaire ! Avec de l’entraînement, certaines sont aisées à comprendre et l’association avec d’autres facile à réaliser, afin d’en faire tourbillonner le sens et que surgisse la vérité du message originel. Le premier regard accroche, mais c’est l’étude approfondie qui permettra d’enluminer la face obscure de l’histoire. Plus le regard du lecteur se lavera de toute certitude résultante d’un enseignement rigide, plus son ascension sera possible. Tout ce qui va suivre dans ces pages sont le fruit de recherches poursuivies jusqu’aux portes du temple d’Hermès que l’on dénomme vulgairement laboratoire. Vous découvrirez que cette compréhension ne repose pas sur une interprétation hasardeuse comme il est trop souvent facilement objecté. Le résultat de nos études n’est pas non plus infaillible, nos ouvrages ne sont que l’aboutissement de nos observations au milieu d’un long chemin menant vers la connaissance, et le lecteur pourra, pour sa part, découvrir dans ces symboles l’explication qui lui est propre en fonction de son avancée personnelle. La théorie et la pratique ne sauraient faire évoluer l’homme vers sa destinée sans le soutien de rencontres qui feront de lui ce guide si charitable et ouvert à la curiosité de l’autre. 

L’objectif avoué n’est pas ici de vous faire rencontrer l’histoire avec un grand H[8], mais de poser un premier vernis de connaissance auquel votre temps de réflexion donnera une patine sympathique à votre visite. Notre démarche ne saurait en rien remplacer les guides touristiques locaux qui vous instruiront de faits historiques précis, ni remplacer les conteurs, incomparables lorsqu’il s’agit de romancer l’histoire et d’inscrire certaines légendes comme des transmissions orales de vérité absolue. Pour notre part, il ne s’agira pas ici d’inventer ni de conter les légendes sans fondement de ces bâtisses mais de leur redonner leur place dans la gnose alchimique de l’apprenti, et de saisir la part d’intrication existante entre textes mythologiques, sacrés et alchimiques. Notre vision des sculptures et des vitraux, sous un nouvel angle de vue, placera le curieux, à la fin de son parcours, non pas dans une finalité mais dans un état réceptif où il trouvera de lui-même tout l’intérêt de poursuivre cette quête. Approchons-nous maintenant, si vous le voulez bien, des monuments anciens édifiés auprès de chez vous  !

Il est difficile au premier coup d’œil de découvrir l’amorce du message hermétique et de suivre le fil d’Ariane, y-a-t-il un sens de lecture ? Vertical ? de bas en haut ? ou bien alors de gauche à droite ? Certainement, mais quel est le chemin ? Alors le regard explore la façade massive, puis se fixe sur les motifs les plus étonnants, sont-ce là les clefs d’ouverture facilitant notre entendement ? Nous sommes parfois bien loin du gothique habituel, nous n’avons pas toujours de dentelle de pierre exubérante comme sur bon nombre d’abbayes et de cathédrales. Cela en fait, lors de vos visites, vous sert plutôt que nous dessert, vous voici dans un lieu inédit qui vous pousse à encore plus de réflexion qu’à l’accoutumée et à une vigilance accrue afin de ne négliger aucun symbole et essayer d’en déceler le sens caché. L’écheveau va progressivement se démêler devant vous et la lecture qui était devenue jusqu’à présent inintelligible va s’éclaircir et vos connaissances s’enrichir, suivez-nous  dans nos ouvrages tel que celui sur Rouen, Folleville, Saint-Amand les eaux, Toulouse, Bruxelles,...! 

Nous allons ensemble comme vagabonder librement d’un motif à un autre, peut-être sans logique apparente mais pourtant vous allez constater que le récit va subrepticement se construire au fil des pages. Les  compagnons ont pensé l’élévation de l'édifice en suivant une idée délibérée reposant sur la complémentarité de la Lumière et de l’Eau, ou plus précisément de leurs analogies, c’est à dire du Soleil et de la Lune, les deux luminaires des alchimistes, Ils ont mis en exergue les trois principes des alchimistes, le sel, le soufre et le mercure, mais aussi les quatre éléments ! Relevez comment nous est noté dans la pierre les notions de Sec, himde, de chaud et de froid . Vous saisissez ? Vous vous approchez du Grand oeuvre !

Jean-Marie Groult


[5] L’expression « Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme » attribuée à Lavoisier, est inspirée du philosophe grec présocratique Anaxagore: « Rien ne naît ni ne périt, mais des choses déjà existantes se combinent, puis se séparent de nouveau », voici une certaine façon d’expliquer quelque peu la transmutation.[6] Jean Perrin (1870-1942) physicien, chimiste, Prix Nobel de physique 1926.[7] La spagyrie est l’art de séparer puis réunir les constituants des plantes en vue de réaliser une quintessence.[8] L’histoire vient de « istorein » ce qui signifie exprimer les choses par les gestes.