La compagnie 164 - de Christian Attard
La compagnie 164 C’est en 1919, à la suite des travaux sur l’azote et l’oxygène par Ernest Rutherford (1871-1937), physicien et chimiste néo-zélandais et prix Nobel de chimie en 1908, que les alchimistes d’Europe reprirent espoir. Rutherford, en bombardant des atomes d’Azote avec des particules alpha (noyaux d’Hélium) observa que certaines de ces particules étaient déviées et en déduisit que les noyaux d’azote avaient dû être transformés en d’autres éléments en l’occurrence de l’oxygène et un proton. Il réussit ainsi la première transmutation nucléaire. Parmi ces alchimistes, Franz Seraph Tausend (1884- 1942) affirma cinq ans après l’expérience de Rutherford qu’il était capable d’extraire de l’or des métaux les plus basiques. Tausend dut être suffisamment convaincant pour pousser le parti nazi à investir massivement dans son projet de laboratoire industriel. L’alchimiste avait lui-même mobilisé un demi-million de dollars pour financer une exploitation minière, cinq laboratoires et un institut de recherches. Erich Ludendorff (1865-1937) qui fut général en chef des armées allemandes durant la Première Guerre mondiale prit la chose très au sérieux. Le jeune parti lui avait justement confié la charge d’être un de ses collecteurs de fonds, il contacta Tausend et lui confia la direction de la mystérieuse « compagnie 164 », dont le but était de fabriquer de l’or, ni plus, ni moins ! Sans même s’assurer de la faisabilité de la chose, sur l’autorité de Ludendorff, héros de guerre, les investisseurs affluèrent. Et le parti nazi va largement utiliser cette manne pour s’organiser. Tausend, lui, ne semble pas arriver à être tout aussi convaincant et son processus est déclaré non réalisable. Il vit portant sur un grand pied et achète château et maison de campagne. Mais la rumeur enfle et trois de ses partenaires en affaires préfèrent s’exiler, Taunsend en fait autant mais il choisit de rejoindre son château dans le Tyrol italien. Reconnu, il est extradé et jugé en Allemagne. Il est condamné à quatre années de prison, non pas parce qu’il est convaincu d’escroquerie au niveau alchimique, il n’a jamais pu être démontré que son procédé était frauduleux, mais parce qu’on l’accuse d’avoir été bien trop gourmand et d’avoir détourné à son profit des fonds qui ne lui étaient pas destinés. Quand à Ludendorff qui a pris ses distances avec le nazisme et surtout Adolf Hitler qu’il considère comme un dément, il est accusé à tort d’être un franc-maçon et écarté de tout pouvoir. Mais qu’en était-il au juste de ce Franz Tausend ? Doit-on s’arrêter à cette version officielle, elle-même difficilement trouvable sur Internet ? Né en 1884 à Krumbach dans la province de Souabe, en Bavière, Tausend après des études brillantes, renonce à devenir enseignant pour entrer dans une usine chimique en tant que laborantin. Puis, il rejoint une école de sous-officiers où il ne lit que des livres de chimie. Il commence à se passionner pour l’alchimie et la transmutation. Il s’essaie alors à produire de l’aluminium à partir de l’argile, de la morphine avec du sel, tente de minimiser le coût des processus industriels de production de l’acier. Il écrit un essai intitulé "180 éléments, leur poids atomique et leur incorporation dans le système des périodes harmoniques". Selon lui, chaque élément possède une fréquence vibratoire caractéristique liée au poids du noyau et des couches d'électrons qui l'entourent. C’était déjà la résonance magnétique nucléaire et une tentative de nouvelle identification d'éléments et de molécules. Tausend était persuadé que la transmutation pouvait se réaliser en changeant les fréquences des éléments au moyen d'interactions d'ondes lumineuses ou sonores. En 1923, il crée son entreprise en s’associant avec Rudolph Reinhardt et achète le château tyrolien (où en effet, il se réfugia pourchassé par les nazis) pour y réaliser ses expérimentations en laboratoire. Après l’explosion, due à une expérience ratée de transmutation du plomb en or, il a la surprise de découvrir des traces d’or dans des débris de fonte. Encouragé, Tausend continue ses expériences à Munich. Mais devant l’opposition des fonctionnaires de la Monnaie qui l’ont d’abord accueilli, il repart à la recherche de financements pour finalement éveiller tout l’intérêt du général Ludendorff. Ce dernier va s’associer avec un ingénieur chimiste nommé Kummer, avec Alfred Mannesmann, un homme d'affaires, M. Osthoff, un banquier, M. Stremmel, un marchand de Cologne et avec Franz von Rebay. Sur les instructions de Tausend, Stremmel achète les matériaux nécessaires, puis Kummer et von Rebay les fondent et les refondent dans un four électrique en y ajoutant un peu de « poudre blanche ». La masse fondue, refroidie, et le creuset brisé révèlent une pépite d'or de 7 grammes. Stremmel fait analyser deux fois cet or par des joailliers munichois et Berlinois, avec le même résultat : l'or est authentique et pur. Ludendorff fait alors signer deux contrats d’exclusivité à Tausend et fonde la compagnie 164. Mais très vite, il détourne au profit du parti nazi une très grande partie des bénéfices au point de mettre en faillite la société qu’il a créée et de s’en retirer prudemment. Tausend tente alors de trouver de nouveau fonds en Autriche. Il démontre aux magnats de l'acier Phillip et Richard von Schooler que son procédé fonctionne. Mais entre temps, ses anciens actionnaires se retournent contre lui et l’accusent d’escroquerie. L’histoire de Franz Tausend est à nouveau bouclée ici, à sa sortie de prison. Désormais son existence ne sera qu’une longue série d’échecs, de nouvelles arrestations. Il mourut en prison à Schwäbisch Hall le 9 juillet 1942. Quelle version choisir ? Celle d’un escroc manipulé par le parti nazi pour duper de naïfs investisseurs ? Ou bien celle d’un authentique alchimiste également dupé par le parti nazi et poussé à la ruine, au discrédit et à la misère une fois qu’il ne sert plus et parce que finalement l’appel de fonds s’est révélé beaucoup plus rentable que la fabrication de l’or ? Un ouvrage fut écrit sur sa vie par Franz Wegener: L'alchimiste Franz Tausend. Alchemie et Nationalsozialismus, Gladbeck 03/2006. Un film fut aussi réalisé en 1969 par Théo Mezger avec Rudolf Wessely dans le rôle de Franz Seraph Tausend, le faiseur d’or. Christian Attard