Extrait de l'ouvrage "Rouen symbolique - Rouen alchimique" de Jean-Marie Groult :
Le singe de l'Hôtel de Bourgtheroulde - Rouen
"Sur la gauche de la tourelle extérieure de l'Hôtel de Bourgtheroulde à Rouen, un singe s’exhibe impudiquement. Il nous présente ici son postérieur, ou plutôt son orifice. L’origine de sa matière fécale évoque le chaos noir dont nous avons déjà fait référence avec notre bien-aimée terre de "khem"(1). Le singe, quant à lui, est le troisième et dernier avatar d’Hermès et signifie bien qu’il y a la même distance de l’alpha à l’oméga, qu’entre le singe et sa déjection(2), qu’entre le noir et le rouge sang. Le "noir " est la première couleur travaillée par l’apprenti au laboratoire lorsqu’il a su passer de la materia prima à la prima materia ; il l’aura faite passer de deux en un. Revenons au mot fécal qui vient du latin "faecalis, faex" qui signifie "lie", nous sommes déjà au-delà de la première couleur, projetés dans un chaos réorganisé là où la licorne, le lion par la corne (lionne) est lié par cette dernière lors du passage du noir vers le blanc virginal.
Le fait que le singe puisse être parfois associé à la forme de Baba en tant que dieu égyptien implique différentes choses : voleur et menteur, il n'hésite pas à se moquer de Rê et à se disputer avec Thot. Le dieu Babi se doit de protéger la barque solaire du dieu Rê et doit pour cela combattre le serpent Apophis. Ce dernier veut faire échouer la barque solaire de Rê afin d'éviter que le soleil ne se lève de nouveau.
Pour nous, cela souligne bien qu’il s’agit de la couleur noire de l’œuvre plus communément appelée petite mort ou putréfaction en référence à l’expulsion de la lumière noire terrestre pour mettre en attente la matière à la réception de la lumière blanche. Lors de cette phase, les gaz peuvent, tel le souffle du dragon, tousser, racler, éructer, d'où le côté colérique et imprévisible de Baba comme l’est aussi le dieu Seth. En même temps, son rôle de protection de la barque solaire signifie un état d’inactivité pour passer au blanc et atteindre beaucoup plus loin dans l’œuvre une première couleur safranée.
En Asie : le singe voit et entend tout, il a gardé la sagesse que l’homme a perdu. En Égypte, le singe est associé, comme chez les mayas, au soleil, car il grimpe à la cime de l’arbre et se rapproche ainsi de l’astre solaire. Selon les rites égyptiens, un dieu était évoqué sous trois formes ; pour Thot, il était tout d’abord l'homme (l’apprenti qui travaille sa pierre comme le fait le profane) puis l'ibis (le compagnon qui essaie d’influer la vie à la matière) puis le singe (le Maître qui a su se poser dans le sacré et parfaire l’œuvre du créateur).
Le singe en tant qu’ultime incarnation d'Hermès Trismégiste est placé au sein de la troisième enceinte du temple, la plus centrale et la plus sacrée. Ce n’est pas un hasard si Thot est vénéré en tant que patron des lettrés, des savants, il est celui qui sait transcrire la forme du souffle divin en signes et formes sur le sable impermanent.
Thot est le messager des dieux et la vapeur des cieux. Il note le verdict d’Anubis lorsque celui-ci pèse le cœur du défunt sur un plateau d’une balance face à une plume d’autruche, symbole de la rectitude, posée sur l’autre plateau. Cela ne vous rappelle-t-il rien ? Saint Michel pesant les âmes, bien sûr ! Thot égyptien devient dans la mythologie grecque Thot-Hermès, puis Hermès. Divinité de l’Olympe, il est assimilé à Thot, le dieu égyptien des savoirs cachés.
Le Singe ou le Maître sur la tourelle.
Son nom sera emprunté ultérieurement sous le vocable d’Hermès trois fois grand, ou d’Hermès Trismégiste à qui on attribuera quelques écrits mythiques, dont le fameux Corpus hermeticum. Ceux-ci constitueront les bases d’une véritable bibliothèque ésotérique nourrissant par la suite les travaux des alchimistes du Moyen Âge. Hermès est reconnaissable à ses attributs : son caducée, et sur son casque et ses sandales, de petites ailes lui permettant de s’élever entre ciel et terre. Il sera repris par la mythologie romaine sous le vocable de Mercure. Dans la continuité, il deviendra Mickaël et enfin pour les chrétiens saint Michel dont les représentations porteront souvent l’inscription : « Quis ut deus » ou bien « Qui est égal à Dieu ».
[1] Même scène sur la façade de la cathédrale de Beauvais, et sur la frise de la façade du Palais Jacques Cœur à Bourges un petit homme, pantalon baissé, mains au postérieur et déféquant. [2] « Le terme « rebis » est utilisé par analogie aux excréments humains et à la fiente de pigeons ». – Dictionnaire Mytho Hermétique de Dom Pernety."
L'ange inversé du Gros Horloge - Rouen
"Sur le côté est du Gros Horloge de Rouen, cherchez le chérubin inversé décorant l’arcature face à la cathédrale. Une légende dit qu’un ouvrier mal payé se serait vengé, mais cette histoire quelque peu simpliste n’est fondée bien sûr sur aucun document. Cependant, en considérant que chaque sculpture n’est pas faite au hasard, ni sans explication symbolique solide, nous allons vous proposer une toute autre approche. Nous remarquons que cet ange inversé est le seul dans cette situation et qu’il est d’une part face à Notre-Dame, et d’autre part situé tout près de la voûte nord, du côté obscur. Nous penchons pour la version d’un ange ayant chuté, tel Lucifer, le porteur de Lumière (du latin : Lux-lumière, et ferrer-porteur). Pour les romains, l'étoile du matin soit Vénus était un dieu nommé Lucifer, cette étoile se lève la première au crépuscule et se couche après l’aurore.
Nous sommes ici bien proches du côté nord, de la nuit, cet ange déchu au pied d’une horloge n’indique-t-il pas la fin du jour et le coucher du soleil ? Cet ange, qui a amené la lumière aux hommes sera plus tard répudié, et assimilé à tort à Satan. Voici ce qu’en dit Fulcanelli dans le Mystère des Cathédrales au sujet d’un hiéroglyphe de Notre-Dame de Paris « …Le peuple appelait cette image Maistre Pierre du Coignet, ce qui ne laissait pas d’embarrasser les archéologues. Or, cette figure, destinée à représenter la matière initiale de l’Œuvre, humanisée sous l’aspect de Lucifer, était le symbole de notre pierre angulaire, la pierre du coin. « La pierre que les édifians ont rejettée, écrit Amyraut, a esté faite la maistresse pierre du coin, sur qui repose toute la structure du bastiment ».
Sur la droite, le dernier ange, détourne le regard, grimaçant et plaintif, il semble être en détresse contrairement à tous les autres chérubins de la frise qui eux bienheureux, chantent. Ils sont vraiment tous deux du mauvais côté !"
Le cochon qui a mal aux dents - Rouen
"Et dans un renfoncement, près de la cour d’Albane, il vous sera souvent signalé lors de vos visites, mais sans plus d’indication, le "cochon qui a mal aux dents" car portant un voile autour de la mâchoire. Il est vêtu d’une veste d’ecclésiastique fermée par de petits boutons, des détails importants comme nous allons le démontrer. Il est placé, vous l’aurez remarqué, à droite dans un coin, à l’angle rentrant d’un mur, c’est l’emplacement d’une culée d’une ancienne chapelle, le point d’appui d’un arc ou d’une voûte. Nous voici encore une fois plongés dans la langue des oiseaux ! Il était d’usage de limer ou de couper à l’aide d’une pince, juste au-dessus de la gencive des porcelets, les huit dents pointues poussant peu après leur naissance, on appelait cette opération la réduction des coins, elle était pratiquée afin que l’animal ne puisse blesser ses congénères ou mortifier les mamelles de la truie lors de l’allaitement. On dit aussi "mettre au coin", ce qui à l’origine, signifiait "fermer la bouche", "rendre muet", le coin étant également une métaphore désignant la bouche par un de ses coins, les angles rentrants à la commissure des lèvres.
Mais alors, n’y aurait-il pas un lien, selon la langue des oiseaux, avec l’évêque Pierre Cauchon[1], conseiller du roi d’Angleterre depuis 1422 et, ma foi, plus enclin à défendre sa puissance et sa fortune personnelle qu’à être honnête homme de religion ? Celui-ci instruisit à charge le procès de Jeanne d’Arc et lui fit subir nombre d’outrages et de violences. Un artiste a depuis offert ce curieux cochon au regard des passants afin que l’on garde en mémoire les actes odieux de ce sinistre personnage. La situation de la sculpture est alors d’autant plus évidente, et souligne que Pierre Cauchon est mis au "coin" et qu’on lui a coupé les dents afin de l’empêcher de nuire une fois de plus à Rouen. Pour le récompenser de ses méfaits, et clairement rejeté de Rouen, les anglais le nommeront un peu plus loin et par défaut, Évêque de Lisieux. Voltaire dira de ce triste sire : « la Pucelle fut adjugée à Pierre Cauchon qu’on appelait l'indigne évêque, l'indigne Français et l’indigne homme »[2].
[1] « Jeanne, chargée de chaines, fut trainée de cachots en cachots, et Lyonnel la vendit à Jean de Luxembourg. Deux inquisiteurs féroces, frère Martin et Pierre Cauchon (1371-1442) se la disputèrent, ce dernier l’emporta et elle ne put avoir un juge plus inique ». Histoire de la Sorbonne Tome 1 - p 186.[2] Remarquez sur le quadrilobe C 12 du portail des Libraires de Notre-Dame un quadrilobe représentant un cochon se tenant la mâchoire."
Le maître et l'apprenti - Portail des libraires - Rouen
"Sur ce quadrilobe, un personnage tient un bâton, le singe à ses côtés lui lance une boule maintenue par une corde. C’est le jeu du bilboquet, le singe, ou en fait le maître démontre à l’apprenti alchimiste avec quelle adresse il devra entamer l’œuvre. Nous verrons une scène similaire dans l’église Saint-Maclou."