Etranges Toulousains de Christian Attard,  avec une préface de Jean-Pierre Monteils

Aucun ne m’était inconnu. Tous pourtant m’étaient ignorés de ces illustres toulousains que nous décrit si bien Christian-Jacques Attard. Sur eux, j’aurais pu écrire au mieux une dizaine de lignes. Là où j’ai senti que le projet était subtil c’est qu’en puisant dans le formidable chaudron de la capitale du Languedoc qui ne manque pas de ressources en personnages de valeur, il a su aussi opérer sans l’annoncer un choix entre leurs singularités. Voilà qui est plus rare. En quoi se ressembleraient-elles ces étrangetés plurielles ?

C’est là que le titre de son excellent livre interroge. Étranges toulousains ! 

Plus fine encore pour qui savent lire entre les lignes et un peu au-delà, est la subtilité qui unit entre eux les différents chapitres. L’auteur nous semble annoncer le menu avec le chiffre 9 de ces figures toutes plus étonnantes les unes que les autres. 9, le chiffre de l’accomplissement, l’ennéagramme, les fondateurs templiers… quel programme ! On démarre avec Guillaume Brun, un ancêtre de Nostradamus, ami et conseiller du roi Louis XI, parfumeur, alchimiste et devin (tiens donc !), suivi par un homonyme du futur Cagliostro (Joseph Balsamo) qui va beaucoup « voyager » pour nous amener vers l’un des pionniers de l’archéologie, l’historien Alexandre du Mège. 

Du Mège vécut plusieurs vies dans une fringale d’honneurs, de distinctions (méritées) et de reconnaissances de toutes sortes. Ailleurs ou en un autre temps, on l’eut dit atteint ici de Cordonite, là de rubanite. Comme il se devait pour tout inventeur qui fit autant de découvertes, restaura tant de monuments, sauvegarda à jamais tant de pièces de notre patrimoine. Merci à lui ! Toute personne s’intéressant à l’histoire occitane tombe en effet un jour sur Du Mége, ses trouvailles ou ses publications. 

Ce n’est pas tout, Du Mège, initié aux arcana arcanorum, responsable dans plusieurs obédiences maçonniques et autres, y compris improbables comme ceux de « la maçonnerie scientifique », nous fait passer de la vieille coterie « stuartiste » aux rites étranges de Memphis, ou de la Thébaïde comme sans jamais s’arrêter. Toujours devant les autres, en perpétuelle quête des traditions anciennes ; sans doute surtout de la Tradition primordiale dont le nom n’existait pas encore ! 

      

Après Du Mège, voici le vicomte de Lapasse dont le blason porte devise : Origine ab alta (venant d’en haut) voilà qui signe un personnage dont Christian fait avec raison, un mystique de la science tant était puissant son désir de réconcilier ce que l’on nomme parfois l’occulte avec l’avant-garde des recherches d’alors.

Médecin, alchimiste, il parcourt les routes bénédictines surtout en Italie et Sicile où il pénètre les monastères de cet ordre et découvre leurs trésors. Littéralement obsédé par les recherches sur les manières de prolonger la vie, il écrit : Considérations sur la durée de la vie humaine et les moyens pour la prolonger. Certains ont cru deviner dans ces lignes qu’il avait été mis en contact avec des secrets de valeur ce que pourrait laisser croire la phrase suivante : « Il   ne   reste   plus   à   l'auteur   qu'il   exprime   sa   reconnaissance  à  tous  ceux  qui  ont  bien  voulu  l'aider  ou l’encourager. Il voudrait qu’il lui fût permis d’exprimer tout ce qu'il éprouve d'amitié pour les RR. PP. bénédictins du chapitre conventuel de Monréale ces pieux et savants cénobites qui l’ont accueilli avec une si noble hospitalité, une si fraternelle bienveillance. ». Surprenant éloge. 

Après sa rencontre avec le Prince Balbiani qui, très âgé alors avait bien connu Cagliostro en personne, après de nombreuses lectures et rencontres, voici notre vicomte introduit dans le milieu ultra discret de l’hermétisme. Puis, après deux nouvelles années en Sicile, le voici de retour à Toulouse où il exerce une médecine clairement Rose + croix et utilisant son or potable. Après sa mort Pierre Dujols, disciple de Fulcanelli, certifiera clairement que le vicomte de Lapasse pratiquait sans aucun doute cette médecine charitable-là, faite de gratuité, de bienveillance… et d’efficacité.

 

Dans cette sarabande un peu échevelée il ne manquait que la musique. En apparence du moins car elle y est bien présente et de quelle façon, en l’évocation d’un personnage aussi inconnu du public de nos jours qu’il fut célèbre chez les musiciens de son temps. Il se nomme Victor Louis, Julien Fumet et a à peine seize ans lorsqu’il intègre au conservatoire de Paris la prestigieuse classe d’orgue de César Franck. Mais il a aussi un véritable don de médiumnité ; c’est aussi un voyant et il perçoit ce que d’autres n’entendent ou ne voient pas. Ami de Paul Dukas et de Claude Debussy, il va connaître très vie les plus grands musiciens de son temps dont Erik Satie. Il se passionne pour le spiritisme grâce à Leymarie, le successeur et disciple d’Allan Kardec. Il ajoute de plus à son nom le surnom de Dynam qui va lui rester chez ses amis. Non pour la puissance de son jeu qui est grande mais sans doute pour son penchant marqué pour la dynamite dont avec ses camarades anarchistes il maîtrise assez bien l’usage. 

Même si la grande et terrible période anarchiste n’a pas encore débuté et s’il perd peu à peu l’estime de la bourgeoisie toulousaine, lui demeure l’amitié de son maître César Franck qui réussit l’exploit dans l’histoire de la musique de faire attribuer l’orgue de Chœur de St Sulpice… à un anarchiste convaincu. Percutant le maître !

C’est alors que dans la foulée, il prend la direction de l’orchestre du Chat Noir, célèbre cabaret parisien où se succèdent les plus brillants scientifiques de son temps et -souvent les mêmes - les plus intrigants alchimistes, voyants, poètes et sorciers en tout genre d’une époque en quête de réponses à des questions en suspension. Autour du peintre et poète, Rodolphe Salis, le créateur du lieu, bougent, s’agitent et gesticulent, un vicomte de Lapasse, les de Lesseps, l’occultiste-libraire Dujols, le peintre Julien Champagne ou le grand Fulcanelli lui-même. Tout d’abord au pied de la butte Montmartre, pendant 16 ans, le petit monde de l’ésotérisme se réunit sur les thèmes de la réincarnation, du spiritisme et de l’anarchie la plus radicale. Précurseur d’un certain surréalisme, les Jean Richepin, Aristide Bruant ou Léon Bloy refaisaient un monde à eux qui devint bientôt commun à beaucoup. Entre Paul Verlaine et le général conspirateur Boulanger, notre chef de musique, s’intéresse très vite au Mouvement synarchique crée par le marquis St Yves d’Alveydre. Il rencontrera Papus et la Théosophie, Chaboseau, Guaïta et la Rose-croix de Peladan.

La vie de Fumet mériterait un gros livre à elle seule. Tout à la fois artiste au-delà des mots, esprit profondément religieux au sens profond du terme, homme libre assumant ses contradictions jusqu’à la tentative de suicide en attente perpétuelle de rédemption ; anarchiste ne souffrant aune injustice…Fumet est probablement dans le livre d’Attard celui qui mérite au plus haut degré le titre de mystique. 

Et pourquoi, écrivant ces lignes, me viennent) à l’esprit les noms de poètes italiens Dante et Cavalcanti…et de leurs fidèles d’amour ?

Elle, je la connaissait un peu et j’ai toujours nourri à son endroit une tendresse particulière. Anne Osmont. Voici une femme qui est la discrétion même, la mesure et une forme de sagesse presque innée. Initiée toute jeune aux sciences occultes par une grand-mère d’origine gitane espagnole, elle reste une figure d’honnêteté dans ce milieu de l’occultisme à l’environnement souvent délétère aux jours de la deuxième guerre mondiale. Côtoyant par ses recherches (sur Saint Martin en particulier) et ses obligations des hommes comme Bernard Faÿs qui rendit accessible aux nazis des documents volés dans les loges alors saccagées en différents coins de France, elle devint par la suite la guérisseuse et l’astrologue de talent et de conscience que l’on cannait. Son ombre irrigue un certain courant en provenance du Philosophe inconnu tandis que son souvenir demeure dans les arrières loges de la HB of L (Fratenité hermétique de Louxor) ou celles encore plus opaques de l’OTO au bord duquel se profile la silhouette d’Aleister Crowley. Elle fut très entourée de deux grandes figures protectrices de l’occultisme de ce temps : Charles Henri, le physicien de la lumière qui approcha sans doute Fulcanelli et Charles Barlet (Albert Faucheux) qui succéda à Guaïta à la tête de son ordre Rosicrucien. 

Anne Osmont, sœur sans tablier en maçonnerie (laquelle la courtisa pourtant beaucoup), aurait pu devenir aussi membre de l’OTO si elle avait suivi un dénommé Israël Monti. Ce qu’heureusement elle ne fit pas laissant ainsi un souvenir d’intégrité de haute stature dans l’occultisme de son temps et ce malgré quelques erreurs bien humaines.

Monti, ancien secrétaire de Peladan (disait-il) qui tenta d’entrainer Anna Osmont vers l’OTO fut un personnage ambigu. Un peu escroc, un peu espion toujours entre mensonge et vérité sur lequel il reste toujours à écrire. En témoigne l’affaire de Rennes-le-Château qui le place tantôt en précurseur de Pierre Plantard, tantôt en homme de l’ombre non loin de la personnalité mouvante de celui-ci. Soit disant créateur de l’ordre d’Alpha-Galates et de bien autres cénacles plus ou moins discernables.

Très attentif à la chose cathare, je sais gré, un peu égoïstement à Christian Attard, d’avoir su tirer, non de l’oubli mais d’un certain silence, la noble figure qui se révèle en médaillon de pierre au marcheur qui grimpe le pog de Montségur : Le poète Maurice Magre. Celui que l’on considère à bon droit comme le continuateur du chantre de la montagne sacrée, Napoléon Peyrat, naquit en 1877 rue du Taur à Toulouse. Il est un personnage complexe qui développera les traits de caractère les plus contradictoires possibles. 

Du mystique exalté théorisant à ses débuts sur l’amour platonique on pouvait écrire dans les années 1965 qu’il fut « plus grand obsédé du début du siècle » ! Il se jette dans l’alcool, le sexe et la drogue…tous les parcours sont bons s’ils lui offrent expérience. Puis il se marrie. Il n’est pas à une contradiction prés. Après la syphilis, le voici maintenant opiomane. La vie de Magre est une tornade qui oscille entre enfer et paradis. Après avoir quitté l’opium à son corps défendant, Maurice Magre est incorporé dans l’armée et dispose paradoxalement de loisirs, non seulement pour poursuivre ses occupations familières mais aussi, pour lentement réfléchir et contre toute attente, changer totalement d’orientation. 

C’est le moment où découvrant les œuvres de H.P Blavatsky, il tombe en admiration devant la théosophie et son cortège de mythes et de légendes syncrétiques. Il se convertit au bouddhisme d’Annie Besant qui a succédé à HPB à la tête du mouvement théosophique mais finalement q le déçoit. Aux livres dont les sujets rejoignent se préoccupations d’alors (Priscilla   d'Alexandrie,   La   Vie amoureuse de Messaline, La Vie des Courtisane) succèdent des ouvrage franchement spiritualistes : Le Roman de Confucius, (1927) Pourquoi je suis bouddhiste (1928). 

Sur son extraordinaire aventure avec la fraternité des Polaires, crée par Zam Bothiva (le franc - maçon italien Cesare Accomani) Christian Attard dit quelques moments forts qui méritent d’être lus et il a bien fait de les placer ainsi, à la fin de la biographie de Maurice Magre. 

Ayant connu nous-mêmes quelques témoins rescapés de cette aventure, il nous est loisible d’en dire qu’elle marqua la vie de Magre et ce celle de nombre de ses amis. Tant de stupidités et de supercheries eurent lieu en une époque où les plus grandes intelligences voisinaient avec les pires margoulins. Francs-maçons dévoyés, théosophes en manque de maîtres ou bouddhistes déraillant, en rupture de gourous, cherchaient tournant en rond, la recette de l’argent facile et du pouvoir. En nommant cela, le bonheur !  

Magre au milieu de tout cela semble avoir toujours hésité entre un humour détaché frôlant la franche rigolade mais aussi quelques hésitations dès que ressurgissaient ses idéaux de jeunesse qui finalement le structuraient beaucoup. L’aventure des Polaires se situa dans les années 30, dans un entre-deux guerres fourmillant d’idées, de créations et de beaucoup de choses encore. Ce fut un moment de grande promotion pour la fameuse idée du graal pyrénéen de même que pour l’Arche d’alliance qui à la suite des hypothèses de Gadal, de Peladan et finalement de l’allemand Otto Rahn, finirent par s’implanter peu à peu dans le légendaire local jusqu’à se voir intégrés dans la vaste saga du catharisme. Tout ce méli-mélo sur fond de mystique rose-croix plus ou moins hollandaise, fut porté aussi par Magre mais dont on n’oubliera jamais qu’il fut égaré comme les autres par une époque riche à profusion et finalement en quête de connaissance avant tout. De lui on gardera essentiellement le fabuleux poète mystique, l’amoureux de son pays pour lequel il fit tant et le chantre d’une époque trop diversifiée pour lui ainsi que d’une épopée faite pour des épaules de géants.

C’est n’est pas un mince mérite d’être parvenu à glisser au milieu de tant de lumières un véritable « personnage de l’ombre », tel que fut Georges Monti dit « comte Israël Monti », dit Marcus Vella ; et surtout d’avoir tenté de trier le vrai du faux c’est à dire ce que l’on sait et ce dont on peut douter. Les biographies de fantaisie abondent y compris encore aujourd’hui. Sa vie est un imbroglio dans lequel il est difficile de se retrouver. Quoiqu’il en soit cette personnalité sur laquelle il y a tant de zones d’ombre est loin de laisser indifférent dans la mesure où elle autorise de nombreux « ponts » entre des moments, des personnes et des mouvements. Ainsi, la Fraternité des polaires à laquelle il appartint peut-être avec tant d’autres permettent par exemple un lien entre Magre et lui. Sa proximité de jadis avec Peladan (il aurait été son secrétaire mais seule Osmont semble l’affirmer et on en doute généralement) explique d’autres fréquentations telles que celle de Anne Osmont elle-même qu’il faillit embarquer dans l’aventure de L’OTO (Ordre du Temple d’Orient) de manière aussi peu probable. De même son appartenance auto-proclamée à la Vehme et à la Rose-croix de Bavière (furent-elles authentiques ?) pourrait expliquer ces mêmes affirmations de la part d’un Pierre Plantard, aussi affabulateur que lui. 

Pour Gérard de Sède, Monti est derrière le groupe Alpha-Galates comme il est derrière Plantard. C’est sans doute encore plus compliqué que cela mais il n’y a aucun doute que cet homme, converti ensuite au judaïsme dès 1925, avait créé en compagnie de Georges de Mengel, ésotériste britannique, le groupe occidental d’études ésotériques. Avec un jeune auteur brillant étudiant en philosophie en Sorbonne, Yrjö von Grönhagen, ils entrèrent en contact avec le Reich führer Himmler. On soupçonnera en fait nos deux compères de travailler pour un service secret autour de l’Ahnenerbe que venait de fonder Himmler. Ils travaillèrent aussi au contact d’Otto Rahn. 

Ca n’engage que moi mais depuis des années, je pense que si la voyante du nazisme, Geneviève Zaepfell fut une peu « la mère adoptive » de Pierre Plantard pour le monde de l’occulte, son père spirituel semble en avoir été Monti pour ce qui fut de la contrefaçon, de la mythomanie et de la conspiration.

Le dernier personnage évoqué par Christian-Jacques Attard dans son opus, est un monument à lui tout seul et d’une certaine façon, résume tous les traits des autres.    

Né à Toulouse mais d’origine ariégeoise et occitan avant tout Denis Saurat est un homme qui, de conditions modestes au départ, va s’élever aux plus hautes sphères de la poésie et du monde universitaire tout court. Passant examens et concours comme chevaux sautant les haies, ce spécialiste des anglais Blake et Milton devient très vite professeur de langue et de littérature anglaises. Il travaille à l’université de Lille et au Royaume-Uni, donnes des conférences à Chicago, à New-York et devient journaliste. Admirateur de Mistral, il écrit un livre à succès, la littérature et l’occultisme. Il est un des premiers à rejoindre de Gaulle et La France Libre mais bientôt se brouille avec le général. Tout en conservant ses fonctions au King’collège, il assure avec François Mauriac, la direction du PEN Club international, association d’écrivains internationale. Conférence sur les cathares mais entre temps il écrit des maîtres livres L’Atlanide et le règne des géants ainsi que la religion des géants et la religion des insectes. Très controversés ! Saurat, visionnaire ou inspiré ou les deux ?

Saurat n’est pas un fou, au contraire. Fasciné par les théories de Han Hörbiger, il l’est tout autant par celles de HP Blavatsky et de son ami Olcott, tous deux fondateurs de la Théosophie. C’est lui qui peu à peu développe la théorie des Pyrénées atlantes. Peu à peu celles-ci deviennent les Pyrénées cathares car pour Saurat, des géants aux cathares il n’y a pas bien loin. Il y a à dire convenons-en.

De grands points d’interrogation demeurent ici mais ils mettent en points saillants tous les aspects, toutes les facettes de ces étranges toulousains tellement ressemblant dans leurs extrêmes différences.

J’ai d’abord été interpellé, charmé ensuite, emballé enfin par ce livre au parfum suranné dominant d’une époque belle car, a plusieurs niveaux il nous invite à découvrir une cohérence, occitane d’abord, spirituelle ensuite et finalement universelle entre les diverses strates de vie des personnages rencontrés ce qui ne doit rien au hasard. 

     A lire et à relire plusieurs fois car, ce n’est pas si courant, à être feuilleté, il se dévoile.

 

Jean-Pierre Monteils